Depuis plusieurs décennies dans toutes les entreprises, on a déclaré la guerre aux stocks. Zéro stock, voilà le Graal du management. Travailler en flux tendu, l’objectif.
Il est évident que les stocks coûtent cher : trésorerie, espaces de stockage, risques de péremption… et il peut sembler de bonne gestion de les réduire au minimum. Encore faut-il faire preuve d’un peu de bon sens et ne pas tomber dans l’excès comme c’est trop souvent le cas.
Ceci n’est pas sans risque. On en a une belle illustration aujourd’hui avec les masques de protection contre le coronavirus. Pour la Cour des Comptes notamment, c’était de bonne gestion que de ne pas en avoir en stock et de les commander en cas de besoins, oubliant au passage qu’une pandémie touche également nos fournisseurs. J’ose espérer que l’armée n’est pas gérée de cette manière et qu’il n’est pas prévu de ne commander nos cartouches et munitions que le jour où nous serons attaqués. Chaque année on a réduit le nombre de lits d’hôpitaux au strict minimum nécessaire en temps normal, hors épidémie. Il semble qu’on ait aujourd’hui environ 10.000 lits de réanimation et/ou de soins intensifs, qui, bonne gestion oblige, sont tous occupés par des malades hors coronavirus.
Est-ce réellement de bonne gestion ? Si tout se passe bien, oui. Mais cela consiste à faire l’impasse sur la sécurité et la prévention des risques. Je me suis heurté à cet obstacle pendant toute ma vie professionnelle de préventeur. La prévention a un coût qui semble toujours trop élevé en l’absence d’accident. Mais c’est du court terme, car lorsque l’accident se produit, ses conséquences dépassent souvent les économies réalisées. Aujourd’hui nous allons payer très cher, tant sur le plan économique que sur le plan humain, les quelques petites économies réalisées sur l’hôpital.
Par ailleurs le flux tendu n’est pas forcément économique. Exemple, les super et hypermarchés sont livrés tous les jours sauf le dimanche et commandent chaque jour aux entrepôts le strict nécessaire correspondant au remplacement des ventes de la veille. Les entrepôts doivent alors fractionner les palettes reçues des fournisseurs (picking), constituer des chargements hétéroclites et envoyer sur la route des milliers de camions partiellement remplis. Façon de faire qui ne se justifie que pour les produits frais, mais n’a aucun sens pour les autres produits. Il en résulte un coût élevé en matière de manutention, de transport et de pollution. N’approvisionner les magasins que tous les 2 ou 3 jours serait parfaitement possible et se produit d’ailleurs lors de restrictions de circulation des poids lourds (départs en vacances par exemple), mais nécessiterait d’augmenter les surfaces de stockage en magasin et parfois donc de réduire les surfaces de vente. Par ailleurs, la gestion séparée des différents services ne fait pas apparaître les coûts et économies possibles. Les bénéfices sont pour les magasins, les coûts pour les entrepôts !
Eric, as tu des examples d’entreprises refusant le flux tendu et le Zero stock ? Pourquoi font-elles ce choix?
A ce jour non sauf dans le domaine militaire (stocks stratégiques de pétrole , par exemple). Je pense qu’il faudra en reparler dans quelques mois à l’issue de la crise du coronavirus.